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Thème 5 : Situations Recherche pour un public spécifique

Depuis plus d’un siècle, les psychologues d’enfants considèrent que le développement humain s’édifie sur des fondations biologiques. C’est cette hypothèse que l’on retrouve aussi bien dans le béhaviorisme, dans le cognitivisme comme dans la linguistique. De même, l’ensemble des concepts du constructivisme piagétien s’origine en dernier ressort de la biologie, de l’autorégulation organique, puisque pour comprendre le développement des structures logico-mathématiques par exemple, il faut remonter à leurs origines dans la période sensori-motrice de l’enfance qui, elle-même, se construit sur des bases biologiques.

Bref, les présupposés qui caractérisent ces théories invoquent la conception d’un développement qui se veut à la fois universel, univoque, unidirectionnel et progressif. Un développement qui tend vers un point idéal de stabilisation, passant par une série d’étapes essentielles que l’enfant franchit seul sous l’effet de la maturation et des apprentissages désormais possibles à chacune de ces étapes. Dans le cadre de cette perspective solipsiste, c’est le niveau de développement qui précède et contraint le niveau d’apprentissage.

En s’écartant de cette approche, les travaux réalisés dans le cadre du constructivisme social ont conduit à mettre en évidence l'importance dans le développement cognitif de l'interaction entre le sujet et ses pairs. Alors que pour Piaget, l'apprentissage consiste essentiellement à confronter l'élève à des situations toujours plus riches et diversifiées, le constructivisme social est venu préciser que l'enfant est d'abord et avant tout guidé dans cet apprentissage par un autre sujet sans lequel l'apprentissage resterait impossible.

Pour illustrer cette caractéristique nous reprendrons l'exemple des recherches effectuées à partir du dispositif proposé par Piaget concernant les conservations. Ces recherches ont montré que, si l'on place un enfant conservant et un enfant non conservant devant la même situation, après négociations et discussions, l’enfant non conservant s’approprie plus facilement le point de vue de l'autre enfant en produisant une transformation de son raisonnement dans le cadre d'une rééquilibration majorante. Toutes les études montrent que les enfants initialement non conservant progressent dans la maîtrise de la conservation lorsqu'ils ont l'occasion de discuter avec des pairs de l'expérience qui leur est proposée alors que les enfants non conservant qui n'ont pas eu l'occasion de travailler avec des pairs ne progressent guère.

Alors que pour Piaget, le développement cognitif procédait de mécanismes internes placés sous l'effet de la maturation, ces travaux ont montré, par la méthode des pairs et des interactions sociales, qu'il était possible d'obtenir plus rapidement des progrès substantiels en matière de développement cognitif. Le cognitivisme social appréhende ainsi l'apprentissage comme le résultat d'un processus à la fois cognitif, comme Piaget l'avait montré, mais aussi où le social interagit pour construire une organisation mentale plus évoluée. En d’autres termes et dans ce cadre, l’apprentissage précède le développement.

Ces travaux qui redonnent une place à la dimension sociale de l'apprentissage remettent d'ailleurs au goût du jour le modèle de Lev Vygotski (1896-1934), chercheur russe, décédé prématurément dans les années 30 et redécouvert récemment dans le monde de la psychologie des apprentissages et des recherches en didactique. Vygotski s'est intéressé au développement des fonctions psychiques supérieures (attention, logique, formation des concepts) par opposition aux processus élémentaires qui sont, d'après lui, partagés avec les animaux. L'origine sociale de l'apprentissage est très clairement affirmée dans la mesure ou chaque fonction psychique apparaît d'abord comme une fonction sociale interpersonnelle, inter-psychique, avant d'être intégrée par le sujet comme une fonction intra-psychique à partir d'une appropriation active. Pour cela, Vygotski introduit la notion de Zone Proximale de Développement pour désigner la différence qui existe entre la capacité d'un sujet à résoudre seul une tâche donnée et sa capacité lorsqu'il réalise cette même tâche sous la guidance d'un pair plus avancé que lui. En d’autres termes, tout sujet est caractérisé par son niveau de développement actuel et par son niveau de développement potentiel. La zone proximale de développement correspond à la surface comprise entre les deux types de développement. Elle détermine ainsi les possibilités de développement à court terme d'un sujet dans le cadre d'une action éducative faisant intervenir une interaction sociale conduite sous la direction d'un sujet plus avancé.

D’un point de vue pédagogique, ces travaux ont mis en évidence le rôle important du soutien social au cours des apprentissages. Depuis une vingtaine d’année de nombreux auteurs se sont engagés dans cette voie en replaçant au premier plan les interactions sociales, comme moteur du développement chez l’enfant. C’est le cas de J. Bruner dont les théories ont de fortes répercussions dans les champs éducatif et pédagogique. Dans un de ses ouvrages récents, Bruner développe l'idée que c'est bien la culture qui façonne l'esprit des individus. Le sens donné aux choses est toujours lié à une communauté culturelle de référence. Dans le même ordre d'idée, apprendre et penser sont des activités toujours situées dans un cadre social. Or, contrairement aux autres espèces, les êtres humains s'enseignent les uns les autres dans des cadres extérieurs à ceux dans lesquels le savoir enseigné sera utilisé. En réaction aux pratiques de l’école qu’il juge également trop centrées sur la transmission directe par instruction de connaissances formelles, Bruner propose une approche alternative basée sur la découverte active par l’élève des principes et des concepts à maîtriser.

Ainsi, pour se rapprocher des conditions écologiques qui président aux apprentissages et pour encourager la mobilisation active des enfants, Bruner propose que l'école soit un endroit où les élèves s'aident les uns les autres à apprendre selon leurs aptitudes. L'entraide qui s'installe ainsi au sein d'une communauté d'apprenants présente alors un certain nombre d'avantages :

• Elle suscite l'émulation.
• Elle donne l'occasion de commenter le travail au fur et à mesure de sa progression.
• Elle permet d'apporter un soutien aux plus novices.
• Elle autorise au sein du groupe une répartition du travail à l'image de ce qui se pratique dans la réalité.

Cette manière de concevoir l'apprentissage conduit à une modification de la place et de la fonction de l’adulte. Il s'agit pour lui d'être un facilitateur. Bruner propose d'ailleurs d'utiliser le terme d'étayage pour caractériser les interactions pédagogiques qui prennent place entre l’adulte et la communauté d’élèves. Ce terme d'étayage s'est maintenant imposé parmi les chercheurs néocognitivistes pour désigner les interactions de soutien mises en oeuvre par un adulte (ou par un pair) afin d'épauler un sujet dans la résolution d'un problème qu'il ne pourrait pas résoudre seul. C'est aussi le type d'intervention pédagogique mise en oeuvre au sein de la zone proximale de développement.

Bruner associe six fonctions principales à l'étayage :

• L'enrôlement qui correspond au fait que l’adulte s'efforce de soutenir l'intérêt des enfants par rapport à la tâche.
• L'orientation qui consiste à s'assurer que les enfants ne s'écartent pas du but assigné par la tâche.
• La réduction des degrés de liberté qui désigne le procédé par lequel le sujet le plus expérimenté simplifie la tâche pour aider les autres à résoudre le problème qui leur est posé.
• La mise en évidence des caractéristiques critiques de la tâche qui consiste à attirer l'attention sur les éléments pertinents de la tâche tout au long de son traitement.
• Le contrôle de la frustration qui permet d'éviter que les difficultés rencontrées ne se transforment en échec.
• La présentation de modèles qui aide parfois à démontrer la tâche ou à en détailler les étapes.

On se propose d’étudier ce modèle dans le cadre la gestion des SRC destinée à des élèves en très grandes difficultés. Nous seront, en particulier, amenés à analyser ces fonctions d’étayage et à caractériser les spécificités des valeurs de ces fonctions dans le contexte de la gestion des SRC. Compte tenu des expériences des années précédentes, le dispositif que nous proposerons dans le cadre d’ateliers maths à modeler reprendra l’ensemble des caractéristiques qui découlent des éléments théoriques ci-dessus. Ce travail concernera, pour la cinquième année consécutive, une dizaine d’enfants, âgés de douze à quinze ans, scolarisés dans une Unité Pédagogique d’Intégration (UPI) encadrée par l’équipe GRAFITI du CHS de St Egrève.

L’intervention se déroulera sur un trimestre, à raison d’une séance hebdomadaire. Les enfants seront répartis en trois groupes de pairs et chacun des groupes sera accompagné d’un adulte en situation d’étayage. Toutes les séances feront l’objet d’un enregistrement vidéo dont le contenu sera secondairement soumis à une grille d’analyse. Pour que les interactions soient efficaces, les systèmes cognitifs en contact doivent disposer d'une surface de recouvrement suffisante et ces interactions doivent également prendre place dans le cadre d'un échange centré sur la coopération à l'occasion d'une activité commune dans laquelle s'engagent tous les partenaires. Les groupes devront ainsi respecter une certaine asymétrie entre les enfants sans pour autant que les distances cognitives s’avèrent trop importantes. Du point de vue du contenu, nous nous rapprocherons d’une situation écologique en proposant aux groupes d’enfant un matériel ludique afin dedonner une large place à la spontanéité et éveiller leur curiosité (dévolution du problème). L’objectif de ces SRC est toujours de permettre à l’enfant de découvrir des concepts mathématiques liés à la preuve et plus généralement la démarche scientifique. L’analyse préalable didactique et épistémologique des SRC proposées montre que pour chacune des situations, les élèves expérimentent à l’aide du support matériel, émettent des conjectures et accèdent à des premières preuves. Ils mettent en oeuvre des heuristiques proche de celles du chercheur.


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