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Thème 2 : Situations Recherche en
classe
Ce que nous désignons par «
situations de recherche pour la classe » (SRC) est précis, nous les distinguons
des « situations-problèmes » et « problèmes ouverts » qui sont décrits dans
d'autres travaux de didactique des mathématiques. Il s'agit d'un modèle dont
nous avons donné une caractérisation dans Grenier et Payan (2003), reprise dans
Godot et Grenier (2004) et Grenier et Payan (2007). Une des questions actuelles
qui se posent est celle de l'intégration de ces SRC dans des « parcours d'étude
et de recherche » (PER) (Matheron et Noirfalise, actes du colloque TAD, Usèz, 2007,
à paraître).
Reprenons ici la caractérisation
d'une SiRC développée dans Grenier et Payan (2003).
1. Une « situation recherche »
s’inscrit dans une problématique de recherche professionnelle. Elle doit être
proche de questions non résolues. Nous faisons l’hypothèse que cette proximité
à des questions non résolues — non seulement pour les élèves, pour l’ensemble
de la classe, mais aussi pour l’enseignant, les chercheurs — va être
déterminante pour le rapport que vont avoir les élèves avec la situation.
2. La question initiale est
facile d’accès : la question est « facile » à comprendre. Pour cela, le
problème doit se situer hors des mathématiques formalisées et c’est la
situation elle-même qui doit « amener » l’élève à l’intérieur des
mathématiques.
3. Des stratégies initiales
existent, sans que soient indispensables des prérequis spécifiques. De
préférence, les connaissances scolaires nécessaires pour initier la résolution
sont élémentaires.
4. Plusieurs stratégies d’avancée
dans la recherche et plusieurs développements sont possibles, aussi bien du
point de vue de l’activité (construction, preuve, calcul) que du point de vue
des notions mathématiques en jeu.
5. Une question résolue renvoie
très souvent une nouvelle question. La situation n’a pas de « fin ». Il n’y a
que des critères de fin locaux. L'objectif premier est donc la résolution (au
moins partielle) d'une question dont on ne connaît pas la réponse, et non
l'apprentissage ou le travail d'une notion mathématique désignée. Une “bonne”
SRC va conduire l'élève à pratiquer les savoir-faire transversaux décrits
ci-dessus. Les pistes de résolution peuvent diverger et donc mettre en jeu des
concepts mathématiques différents. Trois aspects fondamentaux sont présents
dans nos SRC, qui sont peu présents, voire absents, dans la classe usuelle.
• L’ « enjeu de vérité ». En
classe, usuellement, ce qui est à prouver est la plupart du temps annoncé comme
vrai (« démontrer que »), il n’y a pas d’enjeu de vérité. Ou bien, lorsque la
question est ouverte, la réponse est évidente (« que constatez-vous ? », en
regardant une figure, par exemple).
• L’aspect « social » de
l’activité. Dans une SRC, il peut y avoir un vrai enjeu social de production
mathématique, même s’il est local (groupe + professeur et/ou chercheur).
• L’aspect « recherche ». Dans
les manuels et les pratiques enseignantes, il est explicitement déclaré que,
pour résoudre un problème et aussi pour prouver, « on ne doit utiliser que les
propriétés du cours ou celles d'une liste donnée ». Cette consigne est
contradictoire avec l’activité du chercheur et avec la démarche scientifique.
Les situations que nous avons
étudiées ne vérifient pas forcément tous les éléments de caractérisation de
notre modèle SRC, mais celui-ci nous sert de référence épistémologique et
didactique. Les caractéristiques et contraintes d'une SRC impliquent des
organisations didactiques et mathématiques spécifiques. Notre équipe s'attache
depuis des années à l'étude des conditions de transmission de ces situations.
Nous disposons actuellement d' « analyses a priori » fiables pour quelques-unes
d'entre elles, résultats de nombreuses expérimentations menées dans des institutions
et à niveaux scolaires très différents. Citons ici une des premières SRC que
nous avons étudiées, qui se décrit en un ensemble de plusieurs situations de
pavages de polyminos par d'autres polyminos et que nous considérons comme
fondamentale pour les objectifs que nous visons.
Cet ensemble de situations de
pavage ont été expérimentées pendant des années avec des élèves de l’école
primaire et du secondaire, des étudiants jusqu’en 5ème année d’université et
des enseignants-stagiaires dans les Instituts Universitaires de Formation des
maîtres (IUFM). Elles sont maintenant devenues classiques dans certains de nos
modules optionnels à l’université.
L'intégration des SRC dans des
cursus d'enseignements optionnels
Certaines de nos SRC sont
intégrées dans des cursus :
− un module « option sciences »
en seconde (dans deux lycées de notre académie),
− une unité d'enseignement
optionnelle (UEO), intégrée dans les deux premiers niveaux de la licence
scientifique et technique (LST de l'université Grenoble 1),
− une UE d'« introduction aux
métiers de l 'éducation (METEDUC)» en 3ème année de Licence (L3) de
mathématiques,
− et enfin, quelques séances en
formation initiale ou continue des enseignants.
Des évaluations ont pu être
faites, certains imposées par les institutions, aussi bien du point de vue des
apprentissages (« examen » et note finale pour les étudiants en LST), que du
point de vue des « formés » (enquête auprès des enseignants). La question de
l'évaluation des apprentissages transversaux est bien sûr complexe.
Ces SRC se situent pour nous en
complément des enseignements traditionnels et ne les remplacent pas. En effet,
leur spécificité même (décrite dans Grenier et Payan, 2002) crée une double «
contrainte » :
− les apprentissages visés sont
avant tout « transversaux » au sens décrit ci dessus, et non notionnels, même
si évidemment, des notions sont présentes et étudiées ;
− l'organisation didactique de la
classe pour une SRC ne peut être généralisée à tout le cursus, à cause du temps
qu'elle nécessite et de la « position » particulière de l'enseignant : de
détendeur de savoir, il devient directeur d'étude.
Pour qu'un problème soit dévolu
comme une situation de recherche, il ne faut pas que l'élève puisse l'associer,
de manière évidente, à des théorèmes de cours, ou à une technique bien
installée, ou encore à un modèle évident, ces éléments risquant de « tuer» la
recherche au profit de l'application de connaissances toutes prêtes, relevant
d'une « boîte à outils » mathématique. C'est une des raisons pour lesquelles
nos SRC se situent très souvent dans des contextes de mathématiques discrètes (mathématiques
du dénombrable et des entiers, mais aussi de la géométrie combinatoire et des
graphes), domaine non enseigné en France et permettant de poser des questions
accessibles sans pré-requis élevés. Nos travaux futurs auront pour objectif de
montrer en quoi ces SRC sont utiles voire nécessaires dans l'enseignement, à
tous les niveaux, car elles peuvent pallier à des manques évidents de nos
curricula traditionnels (pour ceux francophones : France, Québec, Mali,
Belgique). Nous affirmons que certains de ces savoirs transversaux ne peuvent
être acquis autrement que par des situations relevant (plus ou moins) du modèle
SRC. En effet, par exemple, l'apprentissage du processus de preuve (comprenant argumentations,
conjectures, exemples, contre-exemples, preuve) n'est pas dans les meilleures
conditions si les notions concernées par le problème à résoudre sont trop complexes. Il s'agit
ici de ne pas confronter l'élève à un double apprentissage trop difficile,
celui du raisonnement et de la preuve, et celui de la notion en jeu.
Pour la recherche à venir : Etudier comment et en quoi la
mise en situation des élèves et étudiants dans ces SRC modifient leur rapport
aux mathématiques et leur intérêt pour cette discipline, et faire des propositions et des
pistes pour une formation des enseignants à la gestion des SRC.
Références
Godot, K. et Grenier, D. (2004), Research
Situations for teaching : a modelization proposal and examples, Proceedings of
the 10th International Congress for Mathematics Education, ICME 10, Copenhague.
Grenier, D. (2001), Learning proof and
modeling. Inventory of fixtures and new problems. Proceedings of the 9th
International Congress for Mathematics Education, ICME 9, Tokyo.
Grenier, D. (2006), Des problèmes
de recherche pour l'apprentissage de la modélisation et de la preuve en
mathématique. Actes du colloque de l'Association Mathématique du Québec (AMQ),
Sherbrooke, june 2006.
Grenier, D. (2008),
Expérimentation et preuves en mathématiques, in Didactique, épistémologie et
histoire des Sciences, PUF, collection « Sciences, homme et société » (L.
Viennot ed).
Grenier, D. et Payan, Ch. (1998),
Spécificités de la preuve et de la modélisation en mathématiques discrètes.
Recherches en didactiques des mathématiques, Vol. 18, n°1, pp. 59 99.
Grenier, D. et Payan, Ch. (2003),
Situation de recherche en classe : essai de caractérisation et proposition de
modélisation, cahiers du séminaire national de recherche en didactique des
mathématiques, Paris, 19 Octobre 2002.
Grenier, D., Payan, Ch. (2007),
Des « situations recherche » pour l’apprentissage des savoirs transversaux,
actes du congrès international EMF enseignement des mathématiques francophone,
Sherbrooke, mai 2006.
Lakatos, I. (1984), Preuves et
réfutations. Trad. de N. Balacheff et J.-M. Laborde. Paris : Éditions Hermann,
coll. Actualités scientifiques et industrielles.
Matheron, Y., Noirfalise, R. (à
paraître), dynamiser l'étude des mathématiques dan sl'enseignement secondaire
(collège et lycée) par la mise en place d'AER et de PER, commission inter-IREm
didactique. Actes du colloque
TAD, Usèz, octobre 2007.
Tanguay, D. (2007), Learning Proof: from Truth
towards Validity. Proceedings of the Xth Conference on Research in
Undergraduate Mathematics Education (RUME), San Diego State University, San
Diego, Californie. On the Web, 15 pages.
Ouvrier-Buffet, C. (2006), Exploring
Mathematical Definition Construction Processes. Educational Studies in
Mathematics, Vol. 63, n°3, pp. 259-282.
Ouvrier-Buffet, C. (2007), Des
définitions pour quoi faire ? Analyse épistémologique et utilisation
didactique, Education et sciences, ed Fabert.
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