Accueil
Qui sommes-nous? Recherches Actions Réalisations

Thème 1 Thème 2 Thème 3 Thème 4 Thème 5


Thème 3 : Appropriation et contraintes sémiotiques dans la mise en œuvre de Situations Recherche par l’apprenant

Du point de vue sémiotique (des systèmes de signes), le novice d’un domaine peut se trouver dans une situation comparable à celle de l’archéologue, confronté à de multiples inscriptions dont il ne connait ni le sens ni la forme. Certains de nos travaux s’intéressent au paradoxe ainsi évoqué dit de la représentation, i.e. à l’impossibilité, en principe, d’apprendre simultanément un contenu et un format (de Vries). Ce paradoxe nous a incité à postuler une dialectique d’acquisition des systèmes de signes de spécialité, qui, en se régulant, conduit progressivement à la connaissance à la fois des dénotations (des objets) et des conventions de désignation (Dépret). Il n’est peut-être pas trivial de rappeler, en regard de l’attention portée sur les enjeux épistémiques, que les contraintes de forme pèsent aussi sur le fond.

Dans le cadre de Situations de Recherche (SR) on a affaire à des situations dont la question est d’un accès « facile » en cela que le problème peut s’exprimer « hors des mathématiques formalisées » (Grenier et Payan). C'est-à- dire que la difficulté du problème n’est pas posée conjointement à celle de l’apprentissage d’un système de signe de spécialité. L’accès, dans sa dimension sémiotique, semble de prime abord plus ouvert et moins à même de provoquer des difficultés de compréhension des signes, ou des réactions de rejet que l’on constate souvent dès l’apparition des symboles mathématiques (de la racine carrée au grand sigma qui est une désignation de la somme, correspondant à une thématisation de l’addition, et qui met encore en échec des étudiants de premier cycle universitaire). Mais cette facilité d’accès laisse le problème de la désignation entier. Tout d’abord il est illusoire de considérer le signe comme transparent, et en particulier de considérer comme facilitateur l’ancrage dans des situations réelles ou connues des apprenants. N’est-ce pas Simon qui écrivait que l’antipathie pour les mathématiques n’apparaissait pas avec les premiers apprentissages du calcul mais avec les premiers énoncés de problèmes (rapporté par Julo, 1995, p. 111) ? La situation réelle ou imaginaire proposée oralement, physiquement, graphiquement est signifiante et suppose donc interprétation, c'est-à-dire un sens donné aux éléments qui la constituent. Celui-ci entraîne une première structuration du problème, pour reprendre une vieille formule. Ensuite, tout système de signes porte en lui des contraintes et un potentiel de représentation. On sait, depuis Duval, que les conversions entre systèmes les révèlent (Dépret & Baillé). Ces contraintes et ce potentiel sont fondamentalement liés à l’opérativité de ces systèmes sémiotiques, mais aussi à leurs conventions. Et celles-ci sont plus ou moins implicites et subjectives…

Ainsi dans une perspective pragmatique (que nous entendons ici au sens d’une théorie triadique du signe, c'est-à-dire en considérant les dénotations, les supports des signes et les interprétants) l’enjeu est bien épistémique : il s’agit de comprendre comment se réalise « une prise de connaissance médiatisée » (Morris, 1974, p. 18). Les SR sont en cela bien nommées et révèlent toute leur pertinence puisque les enjeux didactiques rejoignent des enjeux de philosophie des mathématiques, tels qu’ils ont pu être soulignés par Desanti (une idéalité mathématique est un « être qui n’est jamais offert par sa simple présence mais par la médiation du système réglé de désignation qui permet d’en disposer », 1968, p. 238). Le potentiel d’abstraction, conjoint aux processus d’induction, ou de thématisation des représentations sont des variables clés dont on peut envisager l’étude. De même, nous avions écrit ailleurs que « la nécessaire variabilité à l’intérieur des systèmes de désignation est à considérer comme une possibilité d’action : ce sont les degrés de liberté des écritures qui permettent les appréhensions des objets, et conjointement les opérations sur ces objets » (Dépret & Patonnier, 2009, p.178). En cela nous pensons être fidèles à Wittgenstein et à son idée force quant à la correspondance des degrés de multiplicité des propositions et de la réalité.

Le faible niveau de formalisme de spécialité dans une SR n’est donc pas, de notre point de vue, une réelle facilité d’accès au problème. Elle en fait plutôt partie : elle le conditionne, et plus même, le rend différent d’un problème posé dans un autre formalisme3 (« Quand nous exprimons un fait, ce que nous exprimons effectivement c’est une relation sémiotique où notre expression du fait est exprimée tout aussi bien que ce qui est donné comme fait » Reiss,1980, p. 119).

Par contre ce faible niveau de formalisme de spécialité correspond aussi à la possibilité de modification du code et d’élaboration à partir du code, en bref d’appropriation du code. Pour DiSessa cette activité est essentielle tant chez les experts que chez les novices d’un domaine (DiSessa utilise la notion, peut-être malheureuse, de metarepresentational competence).

En mathématiques, on peut, par exemple, suivre Hitt (2004) qui signale que les représentations sémiotiques des élèves ne coïncident pas nécessairement avec celles que le professeur utilise dans son cours, et prend l’exemple d’une étude de Benitez et Santos dans laquelle une élève de 11 ans développe une procédure figurale tout à fait personnelle et particulière au problème à résoudre, mais pourtant tout à fait fonctionnelle. La dimension ouverte des SR vis-à-vis des formalismes pourrait favoriser cette activité d’appropriation, alors que précisément ce n’est pas le cas lorsque l’enjeu d’apprentissage est directement lié à l’acquisition des systèmes de représentations. Nous étudierons l’appropriation par les apprenants des systèmes de désignations dans le cadre des SR comme systèmes de contraintes et de potentialités tant du point de vue des opérations sur les objets dénotés que des caractères de ceux-ci. Les conceptions en extension et en compréhension, comme les relations d’abstraction, d’induction, de généralisation, de thématisation ou encore d’homomorphie seront des outils précieux d’analyse, et permettront la comparaison avec le travail du chercheur en mathématiques discrètes. Nos méthodes seront l’observation, l’analyse de contenu, la méthode d’enquête et la méthode expérimentale.


Références

Dépret, C., & Baillé, J. (2007). Conversion : déplacement et transformation épistémiques. In J. Baillé (Ed.), Conversion (pp. 75-111). Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble.

Dépret, C., & Patonnier, S. (2009). Appréhender l'objet mathématique à travers ses désignations : enjeux et perspectives didactiques. In J. Baillé (Ed.), Objet (155-181). Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble.

De Vries, E. (2006). Students' construction of external representations in design-based learning situations. Learning and Instruction, 16, 213-227.

Grenier, D., & Payan, C. (2003). Situations de recherche en "classe" essai de caractérisation et proposition de modélisation. Les Cahiers du Laboratoire Leibniz, 92.

DiSessa, A. A. (2004). Metarepresentation : Native Competence and Target for Instruction. Cognition and instruction, 22(3), 293-331.

Duval, R. (1995). Sémiosis et pensée humaine. Berne: Peter Lang.

Duval, R. (2006). A cognitive analysis of problems of comprehension in a learning of mathematics. Educationnal Studies in Mathematics(61), 103-131.


Maths à Modeler - Institut Fourier - 100, rue des maths - BP 74 - 38402 Saint-Martin d'Hères - France
Mentions Légales
logo CNRS